RDC : la Constitution peut-elle survivre à la guerre ?
Le 18 février 2025, la Constitution de la RDC a totalisé 19 ans d’existence, depuis sa promulgation par Joseph Kabila, alors président de la République, en 2006. Cet anniversaire du pacte républicain intervient dans un contexte où la situation sécuritaire et politique est fortement dégradée par l'intensification de l’offensive de l’Alliance fleuve Congo (AFC) et du Mouvement du 23 mars (M23), appuyés par le Rwanda, dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Quel impact cette guerre aura-t-elle sur le projet de réforme constitutionnelle ?
Bonjour et bienvenue dans ce septième épisode de Po Na Biso, capsule audio d’Ebuteli et du Groupe d’étude sur le Congo de l’Université de New-York, qui décrypte chaque semaine un sujet de l’actualité congolaise. Je m’appelle Ithiel Batumike. Je suis chercheur au pilier politique à Ebuteli. Nous sommes le vendredi 21 février 2025.
Adoptée par référendum en 2005, la Constitution du 18 février 2006 est souvent considérée comme l’une des meilleures qu’ait connues la RDC, selon plusieurs constitutionnalistes, notamment André Mbata et Jean-Louis Esambo, professeurs de droit à l’Université de Kinshasa. Au début de son premier mandat le président Tshisekedi partageait cette opinion, estimant que cette Constitution résultait d’un « consensus laborieusement obtenu après des années de guerre ». Mais sa position a évolué depuis son annonce du projet de réforme constitutionnelle le 23 octobre 2024 à Kisangani. Ce revirement a ravivé les tensions entre partisans et opposants à la réforme constitutionnelle.
Les soutiens de cette réforme estiment que, comme toute œuvre humaine, la Constitution actuelle présente des failles. D’ailleurs, elle a déjà été révisée en 2011 pour corriger certaines imperfections.
C’est pour cela que la majorité au pouvoir s’est engagée, durant le dernier trimestre de l’année 2024, dans une campagne d’abord pour sa révision, puis pour son changement, mettant en avant ses prétendues défaillances.
Qualifiée par ses détracteurs de « malédiction » ou de « Constitution des belligérants écrite avec machette et kalachnikov à la main », l’actuelle loi fondamentale est surtout accusée de porter en elle les germes de la balkanisation du pays, cause cachée de la permanente guerre dans l’Est. Les partisans de cette réforme constitutionnelle pointent particulièrement les articles 214 et 217 : le premier prévoit la possibilité pour l’État de « céder, échanger ou adjoindre le territoire », tandis que le second autorise l’« [abandon partiel de] la souveraineté du pays pour promouvoir l’unité africaine ». Ces dispositions, selon les partisans de la réforme, exposeraient la RDC à des risques de fragmentation territoriale.
De leur côté, l’opposition et une partie de la société civile n’ont cessé de dénoncer la tentative d’imposer la réforme constitutionnelle comme une priorité nationale, au détriment des impératifs sécuritaires. Les évêques de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) alertaient même sur les conséquences d’une initiative aussi clivante, alors que le pays est en guerre. Finalement, la situation militaire semble avoir freiné l’élan réformateur du pouvoir en place.
L’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), porteur de cette initiative, à travers son secrétaire général, Augustin Kabuya, a fini par reconnaître que la réforme de la Constitution ne constitue plus une priorité. Et ce, n’en déplaise au député UDPS André Mbata qui affirme que « cette guerre est un moment propice pour y réfléchir ». Certains officiels comme Christian Bosembe, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC) ou Constant Mutamba, ministre de la Justice, s’érigent, eux, désormais en défenseurs de la Constitution, rejetant toute idée de démission du président Tshisekedi telle que sollicitée par une partie de l’opposition.
Avec une opposition politique caricaturée par le régime comme étant « faible » et incapable de mobiliser la rue comme sous l’ère Kabila, c’est paradoxalement la guerre elle-même qui pousse le pouvoir à surseoir son projet. Il va s’en dire qu’une partie de l’opposition voit dans ce conflit armé une opportunité de rééquilibrer les rapports de force, ce qui expliquerait l’absence d’une dénonciation explicite et ferme de l’avancée du M23 et des troupes rwandaises. Cette posture conforte le président Tshisekedi dans ses accusations contre une frange de l'opposition, qu’il soutient être derrière l’AFC/M23.
Ceci dit, cette guerre empêche-t-elle vraiment toute réforme ou, au contraire, pourrait-elle redessiner l’avenir constitutionnel du pays ?
Trois issues possibles : La première. Dans l’hypothèse d’un dialogue national sous l’égide de la CENCO et de l’Église du Christ au Congo (ECC), il n’est pas exclu que les participants suggèrent le passage à un nouvel ordre politique, avec une nouvelle Constitution, à l’image du dialogue intercongolais de Sun City en 2002.
La deuxième. Hypothèse moins plausible aujourd’hui, mais à ne pas exclure : si Kinshasa remportait une victoire militaire sur l’AFC/M23, le pouvoir, fort d’un regain de légitimité, pourrait remettre sur la table son projet de réforme.
La troisième. À l’inverse, si l’AFC/M23 atteignait Kinshasa - hypothèse évoquée par certains officiels -, l’actuelle Constitution pourrait être suspendue, comme cela s’est produit dans d’autres situations similaires de renversement de pouvoir sur le continent africain. Dans ce dernier scénario, l’AFC/M23 promet notamment d’instaurer le fédéralisme en RDC, une option explicitement rejetée par le constituant de 2006.
Au bout du compte, cette guerre paraît plus comme une menace pour la Constitution que comme une bouée de sauvetage.
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