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Haut-Uélé : des conflits communautaires, l’autre dynamique de violences

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Blog Uélé

Haut-Uélé : des conflits communautaires, l’autre dynamique de violences

Feb 12, 2025
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Ce nouveau numéro, le dixième et le dernier d’une série sur les dynamiques sécuritaires dans les Uélé, s’intéresse aux violences communautaires survenues le 4 janvier 2025 à Sambia sur le territoire de Dungu, faisant au moins trois morts, dix blessés et 40 000 déplacés environ. Cela rappelle que les groupes armés structurés ne sont pas les seuls auteurs de violences dans le Haut-Uélé.

Située au Nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), la province du Haut-Uélé est en proie à une série de conflits qui perdurent depuis plusieurs années et qui alimentent des violences dans la région. En plus des groupes armés, les violences résultent des conflits fonciers, des limites administratives et de l’accès aux ressources naturelles locales auxquelles des solutions durables semblent loin d’être apportées par les autorités compétentes.

Ces derniers impliquent, d’une part, des communautés établies dans la région, et d’autre part, des conflits mettant aux prises ces communautés et les organismes publics et privés établis sur place. 

Entre-temps, d’autres conflits liés à l’accès aux ressources naturelles et aux essences forestières ont surgi entre ces communautés et deux organismes, dont Kibali Gold Mines, la plus grande entreprise exploitant de l’or dans la région, et l’administration chargée de la gestion du Parc national de la Garamba (PNG).

Dynamiques de conflits entre des pasteurs nomades peuls Mbororo et les communautés locales

Depuis 20 ans environ des pasteurs Mbororo sont arrivés dans le Haut-Uélé en plusieurs vagues en provenance du Bas-Uélé. Ils sont entrés, par le territoire de Dungu, avant de gagner d’autres territoires, notamment Niangara, Faradje et Watsa.

Dans tous ces territoires, la cohabitation est souvent tendue entre les Mbororo et les communautés locales précédemment établies. Le 2 juin 2020, la société civile du territoire de Faradje a décrété l’« opération zéro Mbororo », les accusant notamment d’avoir grièvement blessé, à l’aide d’une flèche, un membre de la communauté locale, ce qui a entraîné de violentes émeutes qui les ont contraints de quitter ce territoire.

Dans le territoire de Niangara, de violents affrontements ont éclaté entre les membres de la communauté locale et des Mbororo, faisant plusieurs blessés. Le campement des Mbororo a ensuite été incendié. Des violences ont également éclaté dans le territoire de Dungu où les Mbororo ont été chassés et la vente de viande de leurs bétails strictement interdite.

Les causes de ces violences sont multiples. Les détracteurs des Mbororos citent principalement, la dévastation des champs par les troupeaux des Mbororo, alors que les activités agricoles constituent la principale source de revenu des communautés locales. Ils accusent également les Mbororo de faire obstruction à la pêche, de souiller les cours d'eau de consommation courante lors du breuvage de leurs bétails. Des Mbororo seraient également responsables de la destruction de pièges tendus par des chasseurs locaux pour attraper les gibiers et les ruches des abeilles, menaçant ainsi la survie des ménages qui dépendent de ces activités.

Par conséquent, les chasseurs qui trouvent leurs pièges démantelés retournent leurs armes contre le bétail des Mbororo, entraînant des représailles de ces derniers allant jusqu'à l'usage des armes à feu. De tels incidents sont nombreux dans toute la région où les Mbororo sont présents.

La détention d’armes à feu par les Mbororo alimente aussi la méfiance des communautés locales qui les assimilent aux groupes armés peuls actifs dans la région. Les services de sécurité reconnaissent que les Mbororo sont parfois infiltrés, mais les Mbororo eux-mêmes déclarent être victimes des groupes armés dont ils fuient souvent la présence, ce que confirment aussi les organisations de la société civile du Bas-Uélé.

En 2018, le gouverneur du Haut-Uélé avait mis sur pied une commission chargée d’identifier les pasteurs nomades Mbororo. Composée d’une dizaine de personnes, cette commission devait commencer le travail dans le territoire de Dungu et présenter son rapport dans les quinze jours suivants, mais faute de moyens, elle n’aurait pas pu accomplir sa mission.

Des conflits des limites administratives à la base des violences communautaires dans le Haut-Uélé

Dans les six territoires composant la province du Haut-Uélé, il existe des conflits de limites administratives qui n’ont jamais été résolus de manière durable. Ces conflits opposent également les territoires du Haut-Uélé aux provinces voisines, notamment l'Ituri et la Tshopo.

Ces conflits se répercutent sur la cohabitation entre les communautés locales car les limites administratives marquent en même temps les lignes de démarcation entre différentes communautés.

Dans la plupart des cas, ces conflits sont latents, mais au fur et à mesure qu’ils perdurent, ils peuvent devenir violents.

C’est en tout cas le constat fait en 2022 lorsque pendant deux jours, des violents affrontements ont éclaté entre les communautés Logo-Lolia du territoire de Faradje (Haut-Uélé) et Kaliko-Omi du territoire d'Aru (Ituri). Cette violence d’une ampleur inédite a fait sept morts, deux blessés et 150 maisons incendiées, révélant que les groupes armés n’étaient pas la seule menace pour la région.

Il s’agissait pourtant d’un vieux conflit documenté déjà en 2016 par la Monusco et qui, selon les membres de la communauté Logo, faisait suite au déplacement de la borne de plus de 5 km, par les chefs Kaliko appuyés par des politiciens afin d’avoir le contrôle de la chute de Ngbungbu qui devait produire de l’électricité et de contrôler les ressources forestières locales. En riposte, des Logo ont utilisé la violence contre les Kaliko, mais ont été rapidement maîtrisés par les services de sécurité.

Des membres de la communauté Logo ont, par ailleurs, été impliqués dans un autre conflit avec les Azande en territoire de Dungu le 4 janvier 2025 ayant fait trois morts, dix blessés, plusieurs maisons incendiées et le déplacement de 40 000 personnes environ.

Tout serait parti d’une incursion de jeunes Logo ayant pénétré sur le territoire de Dungu pour planter des bornes à Sambia qui, selon eux, marqueraient la limite entre la chefferie Logo-Ogambi et celle de Wando, des Azande. En novembre, une source renseigne qu’un chef de localité Logo et son homologue Azandé se serait déjà affrontés à la suite de l’arrestation d’un jeune Logo par des personnes venues de Sambia et qui se présentaient comme des policiers.

Cet incident a provoqué une vive réaction de membres de la communauté Azandé, entraînant de violents affrontements. Ces deux communautés se disputent le contrôle du centre de négoce de Sambia qui est pourtant situé en territoire de Dungu. Les racines de ce dernier conflit seraient anciennes, en 2014 et en 2017, des tensions avaient déjà surgi entre les deux communautés mais réglées dans l’amiable.

Les violences communautaires dans le Haut-Uélé sont révélatrices de la défaillance de la politique foncière de l’État 

Dans presque toutes les provinces congolaises, les conflits communautaires résultent du déficit de la politique de l’Etat en matière de la gestion et de la répartition des terres entre les communautés en présence. Comme indiqué ci-haut, les deux conflits les plus violents ayant opposé les Logo aux Kaliko, ensuite, les Logo aux Azande, ne constituent pas un répertoire exhaustif des conflits dans cette province.

Il existe de dizaines d’autres conflits entre et au sein ; différents territoires auxquels les institutions devaient apporter des solutions efficaces. Mais au-delà de la simple limite, les enjeux de ces conflits sont avant tout économiques. Sambia, l’épicentre du récent conflit entre les Azandé et les Logo constitue une zone minière où des terres ont été achetées par des Azandé, y compris dans la partie contiguë de Faradje, territoire de Logo.

Le nœud du conflit de 2022 entre les Logo et les Kaliko aurait été le contrôle de l’exploitation des bois et de rivières par des chefs coutumiers, voire des opérateurs économiques locaux.  

Les Azandé et les Logo, n’ont jamais connu de violents conflits selon un chef coutumier local. Au contraire, les deux communautés sont liées par le pacte de sang et ont érigé un monument qui symbolise ce lien historique.