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Comment la suspension de l’USAID force l’autonomie des secteurs critiques en RDC 

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Blog Ebuteli

Comment la suspension de l’USAID force l’autonomie des secteurs critiques en RDC 

Mar 5, 2025
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Après son investiture le 20 janvier, Donald Trump a suspendu temporairement certains financements de l’Usaid. Première source d’aide étrangère au monde, cette décision affecte particulièrement les pays en développement. En RDC, où l’est du pays traverse une grave crise humanitaire et sanitaire, l’impact pourrait être significatif, notamment sur le secteur de la santé publique. Ce blog analyse les répercussions de cette suspension sur l’autonomie du pays.

Dépendance du système de santé congolais à l’aide étrangère

Les États-Unis sont le principal bailleur de fonds bilatéral de la RDC. L’USAID a injecté plus de 10 milliards de dollars dans le pays entre 2002 et 2021. Pour la seule année de 2023, plus d’un milliard de dollar a été mobilisé par l’USAID. Ceci représente 23 % de l’aide totale reçue par la RDC, loin devant la Banque mondiale, l’Unicef, ou encore le Programme alimentaire mondiale (PAM). La même année, la RDC figurait parmi les dix principaux bénéficiaires de l’USAID dans le monde, et était le deuxième bénéficiaire en Afrique, derrière l’Ethiopie.

Les 10 principales sources d’aide de la RDC entre 2002 et 2021 (en dollars américains)

 
Sources : Atteridge, A., Savvidou, G., Sadowski, S., Gortana, F., Meintrup, L., and Dzebo, A. (2019). Aid Atlas.
 

Plus de 80 % de cette aide est consacrée à la santé et à l’assistance humanitaire: 589 millions de dollars ont été alloués à l’assistance humanitaire, tandis que 251 millions de dollars ont soutenu des initiatives sanitaires en 2023. Par ailleurs, depuis 2018, l’USAID a investi plus de 300 millions de dollars dans la lutte contre les épidémies d’Ebola, et l’initiative présidentielle contre le paludisme (PMI) – un programme américain pour lutter contre la malaria – a injecté plus de 600 millions de dollars depuis 2010.

 

Répartition sectorielle de l'USAID en RDC, 2023

Ces investissements massifs montrent l’ampleur des besoins financiers du système de santé congolais. En effet, malgré une forte prévalence de plusieurs maladies, la part du budget consacrée à la santé reste insuffisante: en 2025, seulement 13 % du budget, soit 2,11 milliards de dollars, est alloué à la santé, pour une population de plus de 100 millions d’habitants. Depuis 2003, les dépenses de l’État en santé n’ont jamais atteint le seuil de 15 % recommandé par la déclaration d’Abuja de 2001 et le taux d’exécution de ce budget est très faible. 

L’infrastructure sanitaire est également inadéquate: selon le plan national de développement sanitaire (2019-2022), sur plus de 8 000 centres de santé recensés à travers le pays, seuls 1 006 sont construits en matériaux durables, et plusieurs présentent un état de délabrement avancé. 

Dans un contexte où l’État congolais a sous-traité le secteur de la santé auprès de ses bailleurs dont certains dépendent du financement des États-Unis, la disparition ou la réduction spectaculaire des projets dans ce secteur est envisageable. Par ailleurs, l’avenir du programme du gouvernement pour la couverture santé universelle pourrait également être affecté. La RDC risque ainsi de devenir encore plus vulnérable aux maladies endémiques ou aux épidémies.

 

Crise humanitaire

Au-delà du secteur de la santé, l’USAID intervient aussi dans l’aide humanitaire à travers le pays. En 2024, par exemple, à la suite des inondations ayant touché plus de 600 000 personnes dans la province de la Tshopo et près de 1,4 million dans le Nord-Ubangi, l’Usaid avait débloqué 2 millions de dollars d’aide d’urgence pour, entre autre, la construction d’abris pour plus de 44 000 personnes affectées. De même, entre 2023 et 2024, l’USAID a alloué plus de 800 millions de dollars pour venir en aide aux populations confrontées aux conflits, aux déplacements massifs et à l’insécurité alimentaire dans plusieurs provinces, notamment le Nord et le Sud Kivu, le Tanganyika, le Maniema et le Nord-Ubangi. Les besoins humanitaires ne cessent d’augmenter et cette situation s’est particulièrement aggravée depuis le début du conflit avec le M23. Selon l’Office des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (Ocha), les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu abritent à elles seules 4,6 millions de personnes déplacées, faisant de la RDC l’un des plus grands foyers de déplacement interne au monde. Les conséquences indirectes du conflit – épidémies, accès limité à l’eau et systèmes de santé saturés – coûtent souvent plus de vies que la violence directe.

Dans ce contexte, l’aide de l’USAID demeure indispensable pour relever ces défis humanitaires complexes. Cependant, bien que les besoins financiers aient connu une augmentation spectaculaire, passant de 690 millions de dollars en 2016 à 2,53 milliards en 2025, le financement peine à suivre. Le déficit moyen s’est établi à 1,8 milliard de dollars sur cette période. En 2024, par exemple, sur les 2,5 milliards nécessaires, seuls 1,3 milliards ont été mobilisés, laissant un écart de 1,2 milliard de dollars. Ce décalage financier a un coût humain très important: près de 50 % de l’aide humanitaire en 2024 a été allouée à la lutte contre l’insécurité alimentaire, une situation qui touche plus de 20 millions de personnes en urgence alimentaire, et environ 4,5 millions d'enfants souffrant de malnutrition.

 

L’écart dans l’aide humanitaire, 2016-2025

Source: Ocha financial tracking service

 

Un signal d’alarme pour la RDC

La suspension de l’USAID, si elle devenait permanente, soulèverait des questions cruciales quant à la capacité de la RDC à assurer son autonomie dans des secteurs vitaux tels que la santé. Après plus de six décennies d’existence en RDC, le pays n’arrive toujours pas à réduire sa dépendance à l’aide au développement. Cette dépendance est particulièrement visible dans le secteur de la santé, où les financements extérieurs ont augmenté, passant de 34 % en 2008 à 43 % en 2016, tandis que les ménages continuent de supporter environ 34 % des dépenses de santé. Les récentes initiatives de réforme, telles que la gratuité de la maternité et des soins du nouveau-né, bien que louables, dépendent elles aussi de financements externes, notamment de l’Usaid, de l’OMS et de la Banque mondiale.

L’aide au développement, que ce soit l’assistance humanitaire, le renforcement de la santé publique, ou le soutien économique, n’est ni permanente ni inconditionnelle. Les décisions des pays donateurs sont souvent influencées par leurs politiques internes, qui peuvent évoluer avec les changements de régime ou selon les calculs géopolitiques, comme l’illustre la décision de l’administration Trump.


Pour la RDC, dépendre continuellement des pays donateurs, surtout pour les secteurs vitaux comme la santé, n’est pas une solution durable. La voie pour se désengager est certes complexe, et rompre avec cette dépendance profondément enracinée ne se fera pas du jour au lendemain. Toutefois, cela devrait être un signal d’alarme pour inciter les autorités congolaises à développer l’autosuffisance dans des secteurs essentiels, tels que la santé, sur lesquels des millions de vies dépendent. Un élément clé réside non seulement dans la mobilisation des fonds domestiques, mais aussi dans leur gestion transparente et leur allocation rationnelle. La RDC est un pays riche en ressources naturelles qui peut réaliser des exploits dans différents domaines, à condition de miser sur les politiques publiques de construction d’un État congolais réellement au service de sa population.