Haut-Uélé : l’accord de cessez-le-feu entre le NAS et le gouvernement du Soudan du Sud mettra-t-il fin aux attaques armées ?
Alors que les violences de l’Armée de résistance du seigneur (LRA), responsable de massacres et d’enlèvements de milliers de personnes, peinent à se cicatriser dans le Haut-Uélé, cette province fait face à l’exportation d’affrontements entre l’armée sud-soudanaise (SSPDF) et les rebelles du Front national du salut (NAS). Les premiers incidents sécuritaires remontent à la fin de la décennie 2010, période au cours de laquelle le porte-parole du NAS, justifiait les affrontements le long de la frontière congolaise par le fait que son mouvement repoussait l’assaut des SSPDF contre ses positions.
Dès lors, le théâtre d’affrontements a régulièrement glissé dans le Haut-Uélé. Ce fut le cas des violents combats survenus en septembre 2023 repoussés grâce à l’intervention des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) qui avaient évoqué un bilan de plusieurs morts entre ces belligérants.
Le 4 avril 2024, le secteur opérationnel des FARDC dans les Uélé a présenté, dans son état-major de Dungu, un rebelle identifié comme combattant de NAS, arrêté deux jours plus tôt lors d’une patrouille militaire.
En août 2024, une autre incursion du NAS est survenue dans le même territoire, repoussée ensuite par les FARDC. La dernière incursion des combattants du NAS en date a été signalée en septembre 2024 dans le territoire d’Aru en Ituri. Les FARDC ont annoncé l’arrestation de deux rebelles membres de ce mouvement transférés à Bunia.
Le NAS, un mouvement issu de la défection au sein de l’armée sud-soudanaise et du clivage ethnique
Les origines lointaines du NAS peuvent se trouver dans une crise politique qui a éclaté à l’accession du Soudan du Sud à l’indépendance le 9 juillet 2011. Durant cette période, le vieux clivage ethnique entre Dinka et Nuer, communautés auxquelles appartiennent respectivement Salva Kiir, le président de la République et son vice-président Riek Machar est réapparu dans le partage des postes.
Entre fin 2012 et 2013, la crise s’est installée entre Kiir et Machar. Le second détenait de hautes fonctions, notamment celles de ministre de Finances, des Affaires internationales, de chargé de négociation avec le Soudan, avant de devenir vice-président. Soupçonné de préparer un putsch contre Kiir, il a finalement été évincé avec tout son cabinet. S’en est suivi une purge au sein des institutions avec une série de révocations au sein du gouvernement et de l’armée ainsi que de la police, visant majoritairement les membres de la communauté de Machar.
Machar s’est alors lancé dans une opposition armée, SPLA-IO en 2013. Après un accord de paix signé en 2015 avec Salva Kiir, il est redevenu le vice-président, une fonction qu’il a assumée de manière éphémère. Le 9 juillet 2016, de violents affrontements ont à nouveau éclaté entre ses troupes et celles de Kiir au cœur de la capitale, Juba. Machar a été mis en déroute et contraint à l’exil à Khartoum au Soudan d’où il a appelé au renversement du Salva Kiir en septembre 2016.
Quelques mois plus tard, une nouvelle rébellion contre le régime de Juba a été annoncée par Thomas Cirillo Swaka, le chef de la division logistique adjoint de l’armée sud-soudanaise, issu de la communauté Bari. A travers une déclaration de 17 pages datée du 12 février 2017, il annonce la création du NAS. Cette déclaration a été suivie de la démission du ministre du Travail et du directeur de la justice militaire, témoignant d’une crise politique minant les institutions de Juba.
Thomas Cirillo Swaka a motivé sa défection par le fait d’avoir perdu patience à cause de la violation de l’accord de paix de 2015 censé mettre fin à la guerre civile par le Juba et à cause de la surreprésentation des Dinka dans l’appareil étatique. À cet effet, il a argué que les « Dinka de la SPLA sont déployés stratégiquement dans les zones non-Dinka afin de mettre en place une politique d’occupation des terres et s’approprier les biens des autres gens ». Il a ajouté que les membres d’autres ethnies sont « délibérément négligées et ne sont pas déployées ».
Dans un rapport publié en décembre 2015, les experts des Nations Unies avaient confirmé que les forces gouvernementales sud-soudanaises étaient responsables d’un « nettoyage ethnique » dans le sud de ce pays.
De son côté, le gouvernement de Juba a considéré les accusations du général Cirillo comme un subterfuge visant à se soustraire à l’enquête qui le visait pour des malversations concernant le détournement des « rations de nourritures, de carburants, de lubrifiants et de matériels pour consommation personnelle ».
De quels soutiens bénéficient le NAS et pourquoi ses incursions en RDC ?
À cause de l’enlisement de la crise et de l’éternelle difficulté liée à la mise en œuvre des accords signés par les belligérants, Thomas Cirillo serait considéré comme une alternative par certains pays, notamment les Etats-Unis d’Amérique et l’Ethiopie voire le Soudan., Son exfiltration de Juba, après sa démission en 2015 aurait été facilitée par l’ambassade américaine.
Au-delà de ses soutiens extérieurs, à l’intérieur du pays, Thomas Cirillo revendiquait plus de 30 000 hommes et bénéficie depuis 2018, selon le rapport du groupe d’experts de l’ONU sur le Soudan du Sud, d’une coalition de quatre mouvements constituant l’Alliance démocratique nationale du Soudan du Sud, et d’une alliance avec le Front uni du Soudan du Sud dirigé par le général Paul Malong.
Au départ, les SSPDF avaient minimisé la menace du NAS que leur porte-parole, Lul Ruai Koang, qualifiait de « groupe armé qui ne verra jamais jour ». Cela n’a pas empêché le NAS de devenir la plus grande menace pour le régime de Juba.
Le bastion du NAS de Thomas Cirillo se trouve dans la province sud-soudanaise d’Equatoria dont il est originaire, située à la frontière avec les provinces congolaises du Haut-Uélé et de l’Ituri. Du fait de la porosité des frontières, des combattants tentent souvent des replis stratégiques sur le sol congolais, conduisant à des poursuites d’affrontements dans les Uélé.
Des combattants affamés font également des incursions à la recherche de rations alimentaires, ce qui les pousse à s’en prendre aux civils et à piller leurs biens. Certaines sources locales affirment que les rebelles se déguisent parfois en réfugiés pour traverser la frontière avant de se réorganiser et de mener des attaques sur le sol congolais.
L’accord de cessez-le signé à Rome en août pourrait-il favoriser la fin des attaques dans les Uélé ?
Le NAS avait boycotté les négociations qui avaient conduit à l’accord de paix de septembre 2018 ayant favorisé la formation d’un gouvernement d’union nationale en 2020. Selon son dirigeant, cet accord n’avait pas traité les racines majeures de la crise sud-soudanaise. Pour contrecarrer le nouveau gouvernement, il a créé, avec d’autres mouvements, le « Groupe d’opposition non signataire » (NSOG).
Le 22 mars 2024, le NSOG et le gouvernement de Juba ont accepté la proposition du président kényan, William Ruto, d’un dialogue de paix, qui a démarré le 3 mai 2024 à Nairobi. Une feuille de route a été soumise aux parties cinq jours plus tard, sans toutefois les convaincre.
Le Vatican, à travers la communauté Sant’Egidio, a relancé un autre round de négociation du 12 au 14 août qui a permis la signature d’un accord de cessez-le-feu par le NSOG représenté par le général Thomas Cirillo et Albino Aboug, représentant spécial de Salva Kiir.
Cet accord de cessez-le-feu pourrait-il constituer une lueur d’espoir pour la population du Haut-Uélé ? En septembre dernier, deux incidents sécuritaires impliquant le NAS sont survenus, montrant la fragilité de cet accord.
Sur le sol congolais, les combattants de NAS ont mené une attaque en territoire d’Aru en Ituri, et deux de ses combattants ont été capturés par les FARDC.
Le 23 septembre, à 44km au sud de Juba, une attaque attribuée par le gouvernement au NAS a visé un bus à destination de l’Ouganda, entraînant des morts, des blessés et des kidnappés.
Par ailleurs, le 7 octobre dernier, deux factions dissidentes du NAS se sont affrontées dans l’État d’Equatoria central, faisant 24 morts dont 19 civils et cinq soldats. Ces deux factions sont dirigées respectivement par Keny Abdou dont la milice est proche du régime de Juba et Keny Luburon, à la tête de National salvation front united forces (NASUF) dont la milice garderait toujours de lien avec le NAS.
Un autre risque que redoute, à travers une note publiée par Remember Mimingi, un expert sud-soudanais de la gouvernance et des droits de l’homme, est que le cycle de négociation de Nairobi favorise la fragmentation des groupes armés et l’émergence d’autres mouvements rebelles cherchant à profiter des négociations pour se positionner politiquement et militairement.
Un tel processus ne serait pas sans rappeler la fragmentation et l’augmentation du nombre des acteurs armés dans les années 2000 et 2010 dans l’est de la RDC.
Quoi qu’il en soit, la fin des attaques auxquelles font face les provinces du Haut-Uélé et de l’Ituri à partir du Soudan du Sud ne doit pas dépendre du processus politique dans ce pays. La RDC a l’obligation de garantir l’intégrité de son territoire et la sécurité de sa population face aux menaces que font peser les forces armées extérieures sur son territoire.