La province congolaise du Bas-Uélé, victime collatérale des conflits des pays voisins
Située au nord de la République démocratique du Congo (RDC), la province du Bas-Uélé subit l’influence négative des groupes armés actifs sur le sol de la République Centrafricaine (RCA) avec laquelle elle partage 800 km de frontière. Cette frontière, dont une bonne partie est couverte par la forêt et où se trouve le domaine de chasse Bili-Uéré (la plus vaste aire protégée de la RDC), échappe largement au contrôle des services de sécurité.
En effet, la RCA constitue actuellement la plaque tournante de plusieurs groupes armés dont au moins 17 ont été répertoriés. La plupart ont émergé depuis la dissolution de la Séléka en septembre 2013. C’est cette coalition qui avait évincé le président François Bozizé du pouvoir à Bangui et porté Michel Djotodia à sa place, en mars de la même année.
Le « plus puissant » de ces groupes armés, l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), un mouvement essentiellement composé de Peuls depuis 2016, après que ses combattants arabes soient partis, contrôle actuellement des pans importants des préfectures centrafricaines de Mbomou et Haut-Mbomou, frontalières avec la RDC.
L’instabilité de la RCA influe considérablement sur la sécurité du Bas-Uélé, voire du Haut-Uélé où opèrent des groupes armés étrangers impliqués dans le trafic illicite des armes légères et de petit calibre (ALPC), l’exploitation illégale des minerais, selon des sources locales, le braconnage dans le domaine de chasse Bili-Uéré et dans le Parc national de la Garambe (PNG).
De plus, ces groupes armés sont responsables de multiples exactions contre les civils, dont le pillage et d’incendie de 35 maisons à Bokoyo (territoire d’Ango) le 1er juillet 2022, selon la société civile forces vives de Banda. Cette dernière renseigne, par ailleurs, que le 28 juin 2022, dix personnes environ auraient été kidnappées entre les chefferies Ezo (Ango dans le Bas-Uélé) et Ndolomo (Dungu dans le Haut-Uélé) par huit présumés rebelles centrafricains.
Le 9 avril, cinq marchands centrafricains auraient aussi trouvé la mort dans un guet-apens et leurs motos ont été incendiées. Un rescapé de cette attaque que nous avons interrogé a affirmé qu’il regagnait la ville d’Obo (chef-lieu du Haut-Mbomou) en provenance du marché d’Isiro (chef-lieu du Haut-Uélé) avec ses compagnons lorsque des rebelles centrafricains ont surgi à Kpanangbala sur l’axe Pasy en chefferie Ezo et ont ouvert le feu sur eux.
Trois jours plus tôt, trois hommes armés auraient été arrêtés, selon la société civile locale, par les Forces armées de la RDC (FARDC) dans la localité Samongo, chefferie Ezo (territoire d’Ango) lors d’une tentative de braquage de civils.
Le Bas-Uélé, une province menacée depuis longtemps par des groupes armés étrangers
En 1940, la province du Bas-Uélé fut l’objet de l’incursion d’un groupe de braconniers étrangers en quête de défense d’éléphants à Ango. Ils furent chassés par l’administration coloniale. C’est dans le but de protéger la faune sauvage locale que fut créé le domaine de chasse de Digba qui fait partie des aires protégées de la RDC jusqu’à aujourd’hui.
En 1983, les Forces armées zaïroises basées à Kisangani ont été déployées à partir de Kisangani pour repousser un groupe d’éleveurs nomades peuls venus de RCA à Ango.
Des éleveurs sont à nouveau rentrés à Ango, en 2001, profitant de l’occupation du Nord de la RDC par un groupe rebelle, le Mouvement de libération du Congo (MLC), à qui l’on reproche d’avoir favorisé leur implantation dans cette partie du pays.
Il faut toutefois souligner le rôle clé de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) dans la plongée de cette province dans une spirale de violences infernales. La LRA est un mouvement politico-religieux créé en 1986 par Joseph Kony dans le district de Gulu (nord de l’Ouganda) dont le but est de renverser le régime de Yoweri Kaguta Museveni et d’instaurer un nouvel ordre théocratique régenté par la Bible. A partir de septembre 2005, la LRA aurait progressivement redéployé son fief du Nord de l’Ouganda vers le Soudan du Sud et la RDC. En septembre 2008, elle s’est implantée plus au Nord-est de la RDC dans le parc national de la Garamba où ses combattants vont se déguiser en agriculteurs, braconniers et orpailleurs.
En septembre 2008, la LRA lance la première vague d’attaques contre les civils, suivie de celle appelée « massacre de noël » en décembre de la même année à Dungu. Ces attaques menées vraisemblablement pour punir une population d’avoir favorisé la désertion de combattants de la LRA, avait entraîné la mort de 1033 personnes et le kidnapping de 476 enfants.
Ce carnage va déclencher en décembre 2008, une opération militaire conjointement menée par les FARDC et un contingent de l’armée ougandaise (UPDF) contre ce mouvement dont une partie des combattants sera contrainte de s’enfuir, en mars 2009, vers les territoires de Bondo et d’Ango dans le Bas-Uélé. D’autres combattants seront signalés en RCA à partir de mars 2010 à travers les massacres des civils dans la préfecture de Mbomou où ils seront visés dès 2011, par une opération conjointement menée par l’UPDF et les forces spéciales américaines au point d’affaiblir leur chaîne de commandement après avoir neutralisé certains de leurs leaders.
Dans la foulée, Dominic Ongwen, un des commandants figurant parmi les cinq leaders de la LRA activement recherchés par la Cour pénale internationale (CPI), s’était rendu le 27 décembre 2014 au nord-est de la RCA avant d’être remis par les forces spéciales américaines, le 5 janvier 2015, au contingent ougandais à Obo. Ongwen sera transféré le 17 janvier 2015 à La Haye où il comparaît devant la CPI pour crime de guerre et crime contre l’humanité.
La survivance de la LRA et une présumée alliance avec les rebelles centrafricains
Les opérations militaires ayant visé la LRA dans le Bas-Uélé et en RCA ont réduit sa capacité opérationnelle sans pour autant l’éradiquer. Elle combattrait désormais pour sa survie, raison pour laquelle son leader, Joseph Kony, aurait demandé en 2015 à ses combattants de lui fournir 100 défenses d’éléphants à partir de la RDC en neuf mois. En 2017, les combattants de la LRA auraient abattu 11 éléphants dans le domaine de chasse de Bili-Uéré en province du Bas-Uélé.
La LRA serait devenue un groupe allié à l’UPC, la rébellion qui contrôle certaines entités des préfectures frontalières de Mbomou et Haut-Mbomou.
L’UPC est l’une de trois milice Peules (à côté du Retour, la Réclamation et la Réhabilitation « 3R » et la Coalition Siriri), qui revendique la mission de la protection des peuls, ce qui paraît comme l’héritage du Front populaire pour le redressement (FPR) de Baba Ladé, ancien rebelle tchadien, un peul d’origine nigérienne, qui serait devenu proche du régime de Ndjamena.
Le leader de l’UPC, Ali Darasa a été sanctionné par l’administration américaine, ensuite par le Conseil de sécurité de l’ONU en décembre 2021 pour crime de guerre, crime contre l’humanité et trafic illicite des armes en RCA.Au départ, l’UPC s’affichait comme un rempart contre la LRA qu’elle accusait d’être responsable des massacres des civils, ce qui l’aurait conduit à profiter du retrait, en 2016, de la task force de l’UA de l’est de la RCA, au motif de vouloir assurer la sécurité des civils contre les exactions de la LRA, pour élargir sa zone d’influence dans les préfectures de Mbomou et de Haut-Mbomou. Dans ce no man’s land, l’UPC contrôlerait les régions minières, la route d’approvisionnement en marché de bétail de Bangui et les points de passages vers le Bas-Uélé, le Haut-Uélé et le Soudan du Sud.
Pourquoi les mesures de l’Etat congolais demeurent-elles inefficaces ?
Dans le cadre de cette menace commune à la RDC et à la RCA, la quasi-inexistence d’échanges de renseignements et de coordination des actions militaires demeure un facteur important.
Le Bas-Uélé et les préfectures contiguës de la RCA (Mbomou et Haut-Mbomou), couvertes de vastes étendues de forêt et nanties en ressources offrent des abris qui facilitent le repli et la réorganisation de ces groupes armés à chaque fois qu’ils sont traqués. Or, les opérations militaires visant les groupes armés du côté de la RCA ou de la RDC n’ont pas été coordonnées et n’ont pas tenu compte de leur capacité à se mouvoir à travers la frontière de ces deux pays.
En 2009 et 2012, deux opérations militaires ont été menées contre la LRA, pour la première fois dans le Haut-Uélé par les FARDC et un contingent de l’UPDF et pour la seconde par les FARDC et la MONUSCO dans le Bas-Uélé.
Côté RCA, depuis 2011, un contingent américain a lancé conjointement avec un contingent de l’UPDF une opération militaire avec comme objectif de capturer Joseph Kony, cerveau-moteur de ce mouvement. Cette opération s’est arrêtée en 2016 sans pour autant atteindre son objectif alors qu’elle a coûté environ 800 millions de dollars américains dont la moitié a été dépensée pour le transport des troupes ougandaises.
De plus, l’impunité garantie aux seigneurs de guerre et la faiblesse de l’autorité de l’État constituent des éléments favorisant la criminalité des groupes armés de deux côtés de la frontière. Ali-Darassa de l’UPC, Mahamat al-Kathim de MPC et Sidiki Abas du 3R ont été nommés par décret en mars 2019 comme des conseillers spéciaux à la primature centrafricaine.
Pourtant, les deux pays sont liés, depuis le 22 juin 2012, par un accord signé par la Direction générale de migration de la RDC (DGM) et celle de l’émigration-immigration, intendance et planification de la RCA qui constitue une importante base de coopération sécuritaire bilatérale. À travers cet accord, les parties ont exprimé leur volonté commune de lutter contre le terrorisme, le trafic de drogue et autres activités criminelles transfrontalières.
En sus, l’inadéquation entre les moyens conventionnels employés par les forces armées avec l’asymétrie sur laquelle reposent les stratégies des groupes armés qui maîtrisent parfaitement la jungle ne favorise pas des actions efficaces.
En outre, les groupes armés profitent de la permissivité du régime de Bangui et de la MINUSCA pour contrôler les régions frontalières avec le Tchad, la RDC et le Soudan du Sud afin de pérenniser l’économie de criminalité. En témoigne leur nomination, par décret, le 24 mars 2019, comme conseillers spéciaux à la primature dans le cadre d’un accord de paix signé à Khartoum, au Soudan. Ali Darasa, leader de l’UPC a même été nommé commandant d’une « brigade mixe armée-groupe armé » à Bambari, malgré les accusations de crime qui pèsent sur lui.
Bien que cette nomination ait été une concession faite aux groupes armés conformément à l’accord de paix, elle a été dénoncée par Human Right Watch (HRW). Darassa aurait profité de ses nouvelles fonctions pour développer l’économie de criminalité et les exactions contre les civils à travers sa zone d’influence, de plus, il s’est retourné contre ses faiseurs de roi, attaquant les services de sécurité centrafricains et les Casques bleus de la MINUSCA.
Aussi, faut-il préciser que le groupe d’experts des Nations a pointé MIDAS Ressources (MIDAS) et l’Industrie minière de Centrafrique (IMC), deux sociétés minières, de financer l’UPC qui leur assure, en contrepartie, la protection de ses sites miniers. MIDAS ressources serait une société minière russe ayant bénéficié d’une licence d’exploitation que le gouvernement centrafricain aurait révoquée à l’entreprise minière canadienne, Axmin. Il n’a toutefois pas été clairement établi le lien entre MIDAS et Wagners qui seraient fortement impliqués dans l’exploitation minière en RCA. Certains casques bleus de la Mission des Nations Unies en RCA (MINUSCA) sont aussi accusés d’alimenter les trafics illicites avec les groupes armés en RCA. Un Casque bleu gabonais aurait ainsi été surpris en train de vendre des munitions aux groupes armés.
Les dynamiques du pastoralisme fortement contestées
La frontière s’effrite de plus en plus entre les éleveurs nomades Mbororo qui sont censés être des civils et les rebelles avec lesquels ils ont en commun la possession des armes à feu. C’est la raison pour laquelle, en RCA comme en RDC, ils sont assimilés à des groupes armés. En 2016, les services de sécurité ont rapporté avoir identifié un combattant de la LRA parmi les Mbororo en territoire de Bondo, ce qui avait conduit l’éviction de Hamadou, leur Hardo (chef), en faveur de Saidou Haman, leur actuel Hardo. En RDC, les Hardo sont placés à la tête de chaque groupe de Mbororo, selon les territoires voire les villages où ils sont implantés.
Par ailleurs, il faut rappeler qu’en 2020, des Mbororo ont été accusés d’avoir tendu un guet-apens dans lequel un agent de la DGM et un autre de la Direction Générale des Recettes du Bas-Uele (DGRBHU) ont trouvé la mort, des informations confirmées par les services de sécurité de cette province. L’arrestation suivie de la condamnation de deux Mbororos en 2018, l’un à 20 ans de prison et l’autre, à perpétuité par la cour militaire garnison du Bas-Uélé pour meurtre des civils à Ango a contribué à ternir l’image de leur communauté dans la province.
Les éleveurs Mbororo, pris entre deux feux
Les bandes armées sévissent dans les régions frontalières congolo-centrafricaines où l’autorité de l’Etat et les routes sont quasi-inexistantes. A leur tour, les services de sécurité sont presque inexistants.
Selon les sources de la société civile locale, les 300 km de frontière qui séparent la RCA du territoire d’Ango ne seraient contrôlés que par 17 militaires dont 5 sur le poste douanier de Bokoyo et 12 sur celui de Zapayi. Au-delà de ce vide sécuritaire, les rares militaires déployés, mal équipés et faiblement motivés, se trouvent, de facto, en difficulté d’affronter les bandes armées.Le domaine de chasse de Bili-Uéré, la cible des groupes armés qui s’étend de Bondo à Ango ne dispose que de 20 éco-gardes. Quarante autres formés en début 2022 avec l’appui technique et financier de l’Union Européenne (UE), devraient renforcer l’effectif existant pour lutter contre le braconnage. Un avion a été acquis pour la surveillance des espèces protégées dans ce domaine. Ces efforts demeurent toutefois insuffisants, l’Institut congolais de conservation de la nature (ICCN) réclame 600 rangers environ pour sécuriser ce domaine de chasse qui a presque le double de la superficie de la Belgique, soit 60 000km².