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Bas-Uélé : que va changer le nouvel accord de coopération militaire entre la RDC et la RCA ?

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Bas-Uélé : que va changer le nouvel accord de coopération militaire entre la RDC et la RCA ?

Ce billet de blog constitue le huitième numéro d’une série sur les dynamiques sécuritaires dans les Uélé. Confrontés à des menaces communes, la République démocratique du Congo (RDC) et la République centrafricaine (RCA) ont signé un accord de coopération militaire le 18 octobre 2024. Cet accord, parviendra-t-il à enrayer l’activité des groupes armés à la frontière des deux pays ?
Nov 21, 2024
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La RDC et la RCA ont signé, le 18 octobre 2024, un accord de coopération militaire dans le but de sécuriser les 1600 km de frontière qui les séparent. Il ne s’agit pas du premier accord dans le domaine sécuritaire. En 2012, les chefs des services de migration de deux pays avaient déjà signé un accord définissant un régime de migration transfrontalier en vue de prévenir d’éventuelles menaces transfrontalières. 

Mais, le nouvel accord signé par les ministres chargés de la défense de deux pays paraît plus important et présente des enjeux stratégiques. Sa signature intervient en effet alors que Bangui et Kigali ont renforcé leur coopération dans le secteur de défense au point que le Rwanda devient l’un des piliers du système de sécurité centrafricain.

Ce renforcement de la coopération en matière de défense entre le Rwanda et la Centrafrique était perçu comme une menace dans le contexte géopolitique marqué par une crise diplomatique entre Kinshasa et Kigali suite à la présence de troupes rwandaises sur le sol congolais aux côtés des rebelles du Mouvement du 23 mars (M23). 

Les clauses et enjeux de cet accord de coopération militaire 

Les termes de cet accord ont été résumés par Rameaux-Claude Bireau, ministre centrafricain de la Défense et Reconstruction de l’armée en trois points : du « partage d’informations et renseignements, de la formation militaire, des opérations conjointes ». Cet accord a également prévu la mise en place d’une commission mixte chargée de coordonner et évaluer les actions qui seront menées par les parties. Les provinces congolaises du Nord-Ubangui et du Bas-Uélé, représentées par leurs gouverneurs aux assises ayant conduit la signature de cet accord, font partie des institutions congolaises incluses dans les échanges prévus avec les préfectures centrafricaines voisines. 

Les intérêts des deux pays convergent dans la mesure où ils cherchent à lutter contre les menaces que font peser les groupes armés sur leur population respective à travers la frontière, comme l’a déclaré Bireau en soulignant que « notre présence à Kinshasa se justifie par le fait que mon pays est à la recherche de la sécurisation de nos frontières communes et la formation de nos officiers pour faire de notre armée, une armée moderne, professionnelle, respectant les droits de l’homme »

Pour la RCA, la principale menace est la présence de l’Union pour la paix en Centrafrique (UPC) qui, en coalition avec la Convention des patriotes pour le changement (CPC) de l’ancien président centrafricain François Bozizé, avait tenté d’évincer le régime de Faustin Touadera en 2020, une tentative déjouée par les troupes rwandaises et russes.  

En mars 2024, Bangui a déployé des mercenaires russes à Obo pour la formation d’Azande ani ki gbe (« de nombreux Azande ont été tués »), AAKG, une milice recrutant dans la communauté Azandé) afin de combattre l’UPC. Les premières troupes de l’AAKG soutenues par les Wagners ont réussi à déloger l’UPC de ses principaux bastions de Mboki et Zemio vers fin mai 2024, précipitant ainsi la fuite d’une partie de ses combattants dans le Bas-Uélé. 

Certaines sources locales ont rapporté que l’UPC a souvent demandé à la population de ne pas dénoncer sa présence car son objectif n’est pas de s’installer définitivement, mais de reconquérir ses bastions perdus en RCA.  

L’enjeu suivant est d’ordre diplomatico-stratégique dans la mesure où des officiers supérieurs des Forces armées centrafricaines (FACA) doivent être formés au Collège de hautes études de stratégie et de défense (CHESD). Si l’enjeu consiste pour cette dernière à bénéficier du transfert de connaissances en matière de défense et sécurité, pour la RDC c’est avant tout une question de prestige et une opportunité pour raffermir les liens diplomatiques.

Par ailleurs, pour la RCA, cette coopération pourrait lui permettre de mieux contrôler les mouvements des pasteurs nomades Mbororo, dont une partie est soupçonnée de faciliter la circulation des armes à feu et d’avoir des liens avec des groupes armés.

Une lutte d’influence à l’échelle régionale

Pour la RDC, cet accord de défense est un élément de sécurité face à l’influence grandissante du Rwanda dans la région, vécu comme une tentative par Kigali de l’encercler. Brazzaville a négocié de son côté l’octroi à Kigali de terres agricoles à Maloukou sur la rive du fleuve Congo, près de Kinshasa.

Quant à la RCA, qui a aussi permis à Kigali de déployer ses troupes pour assurer sa sécurité, en échange de concessions minières et malgré la crise diplomatique entre le Rwanda et la RDC, elle est perçue comme hébergeant une menace pour le régime de Kinshasa. Dans une note adressée au gouvernement de Kinshasa, l’ambassadeur congolais en poste à Bangui, Esdras Kambale, alertait ainsi le 23 septembre 2022 sur la menace que présentent les troupes rwandaises, déployées, selon lui, dans les villes proches de la RDC. 

Les limites de cette coopération

Le fait pour la RDC et la RCA de prendre conscience des menaces des groupes armés à leurs frontières communes et de les combattre est un pas vers la bonne direction. 

Encore faut-il que cet accord se traduise en actes. Une coopération militaire bilatérale efficace implique que les deux pays mobilisent des moyens logistiques et humains pour traquer les groupes armés qui sèment l’insécurité à travers leur frontière. Or ceux-ci semblent faire défaut, ce qui a favorisé l’implantation et la résilience des rebelles, et ce problème d’effectifs ne sera pas résolu par un simple accord de défense. 

Entre 2009 et 2015, les opérations militaires contre la LRA avaient connu un succès relatif grâce aux soutiens financiers, techniques et militaires américains et onusiens représentant des centaines de millions de dollars. L’on se rappelle qu’en 2016, n’eut-été les soutiens logistiques de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco), les rebelles du SPLA-IO de Riek Machar, mis en déroute par les forces de Salva Kiir et retranchées à Dungu dans le Haut-Uélé, n’auraient pas été désarmés et relocalisés au Nord-Kivu.

Du reste, pour faire face aux groupes armés actifs sur leurs territoires, la RDC et la RCA comptent chacune sur des partenaires extérieurs. Les deux pays sont d’ailleurs les seuls en Afrique centrale à accueillir autant de forces extérieures pour tenter de rétablir la paix. En témoigne la présence des troupes rwandaises, des Wagners et de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca) en RCA, de la soutien de la force de la SADC déployée en RDC (SAMIRDC), de la Monusco, du Burundi et des sociétés paramilitaires européennes en RDC

La rivalité entre les partenaires extérieurs des deux pays, pourrait entraver la mise en œuvre de la coopération bilatérale en matière de défense entre la RDC et la RCA. 

Une autre question pourrait empoisonner les relations entre les deux pays, si elle reste en suspens : la gestion controversée de la frontière le long de la rivière Mbomou. Les services de sécurité congolais reprochent à la RCA d’avoir implanté ses services au-delà la ligne de démarcation, à 800 m environ à l’intérieur du Bas-Uélé en RDC. Ces services ajoutent que lorsque la question a été soulevée dans une réunion avec les diplomates centrafricains, ces derniers avaient indiqué que cela ne figurait pas à l’ordre du jour.