Installation du bureau de la Ceni : peut-on éviter la confrontation ?
Le mardi 26 octobre, Denis Kadima a prêté serment devant la Cour constitutionnelle. Il devient ainsi la quatrième personne à diriger la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) depuis sa mise en place en 2004 à la suite du dialogue de Sun City.
Quelques jours plus tôt, le président Félix Tshisekedi avait investi 13 membres de la Ceni. Dans un message diffusé à la Radiotélévision nationale congolaise (RTNC), le chef de l’État, d’un ton grave, a affirmé se « réjouir que le processus de désignation des membres du bureau de la Ceni de 2021 se soit déroulé de manière régulière », tout en reconnaissant le « manque de consensus » autour du président de la Ceni. Dans le même message, Félix Tshisekedi, comme pour justifier sa position, a rappelé que le choix opté par les Congolais était celui d’une « démocratie compétitive » dans laquelle il y aurait des « perdants » et des « gagnants ».
Cette déclaration marque un changement de ton de la part du président de la République. Dans son discours le 23 octobre qui a marqué la fin de la coalition entre le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila et la Coalition pour le changement (Cach), Tshisekedi affirmait que les questions sur lesquelles portait sa divergence avec le FCC, dont la question de la Ceni, « ne doivent être laissées à la merci d’un seul groupe politique, elles nécessitent un large consensus national ».
La désignation des membres de la Ceni a soulevé des controverses aussi bien sur le processus que sur le choix des membres.
Un processus de désignation opaque
L’entérinement des membres de la commission électorale le 16 octobre s’est fait dans une ambiance chaotique. Devant des députés surexcités, jetant des projectiles les uns sur les autres, Christophe Mboso, le président de l’Assemblée nationale, décide de faire adopter de force le rapport de la commission paritaire chargée de statuer sur les membres de la Ceni. À l’issue d’un vote à main levée, la plénière finit par entériner la nomination des membres de la Ceni .
Ce processus d’entérinement a été fait dans l’opacité du début à la fin. D’une part, la composition de la commission paritaire de l’Assemblée nationale n’a jamais été rendue publique. Interrogée sur la question lors d’une émission sur Top Congo, le député Eliezer Tambwe, qui dit être membre de la commission paritaire, a affirmé que celle-ci comprend 20 membres, chiffre confirmé aussi par André Mbata, président de la commission. Cependant, l’unique page rendue publique du rapport de la commission indique un vote à l’unanimité de 10 membres votants. Aucun mot sur leur identité. Le 26 octobre, pressé par un journaliste, André Mbata révélera finalement une liste de plusieurs noms. Toutefois, plusieurs personnes citées ne reconnaissent pas avoir fait partie de la commission. C’est le cas du député Willy Bolio, qui a décidé de porter plainte contre le président de l’Assemblée nationale et le président de la commission paritaire. Moïse Nyarugabo, lui aussi cité, dit avoir appris qu’il était membre de la commission par la radio alors que le bureau de la Ceni était en train de prêter serment. Il a décidé de saisir le bureau. Geneviève Inagosi, députée FCC supposée membre de la commission, affirme n’y avoir jamais été déléguée. Interrogé par téléphone sur la question, André Mbata reconnaît cette situation. Pour lui, les députés ne veulent pas voir leurs noms divulgués pour protéger leurs intérêts.
En outre, plus de deux semaines après l’entérinement du rapport de la commission, aucun député n’a pu accédé à une copie du rapport, contrairement au règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Pour M. Mbata, il revient au bureau de l’Assemblée nationale de partager la copie du rapport.
La direction de la commission semble lui-même poser problème. Selon le communiqué du FCC et, plus tard, celui des organisations laïques catholiques et protestantes, le président d’une commission permanente ne peut pas diriger une commission spéciale. Si c’est le cas, André Mbata, président de la commission politique, administrative et judiciaire de l’Assemblée nationale, ne pouvait donc pas diriger une commission paritaire. Ce n’est cependant pas la lecture du prof Mbata. Pour ce dernier, une commission paritaire n’est pas une commission spéciale, c’est « une commission spécifique créée par une loi ».
Qui sont les membres contestés de la Ceni ?
Mais le plus grand point de contestation reste le manque de consensus autour des délégués membres de la Ceni. Et au cœur de cette controverse : la désignation du président de la Ceni. En 2020, lorsque le FCC, sûr de sa majorité écrasante au Parlement, avait voulu imposer Ronsard Malonda, Félix Tshisekedi s’y était opposé. Dans une lettre adressée à Jeanine Mabunda, alors présidente de l’Assemblée nationale, il évoquait le « manque de consensus » et l’irrégularité de procédure due à la non-signature des procès-verbaux par le président et vice-président de la plateforme des confessions religieuses. Désigné dans des conditions similaires, et malgré les protestations de l’Église du Christ au Congo (ECC) et l’Église catholique, Denis Kadima est investi par Félix Tshisekedi.
Kadima n’est cependant pas le seul membre contesté de cette nouvelle Ceni. Le FCC et l’Ecidé, deux composantes de l’opposition parlementaire, refusent d’envoyer leurs délégués, exigeant un large consensus. Trois des quatre postes de l’opposition sont restés vacants. Un membre de l’opposition a cependant été désigné. Il s’agit de Ditu Monizi Blaise, député du dynamique de l’opposition (DO), regroupement de Martin Fayulu. Avant la formation de l’Union sacrée de la nation (USN), les députés DO faisaient partie du groupe parlementaire MLC/ADN de l’opposition. Cependant, depuis la mise en place de l’USN, le groupe MLC/ADN a rejoint la majorité. Les députés DO sont, quant à eux, restés non inscrits. Selon la loi sur la Ceni, c’est aux « composantes à l’Assemblée nationale » de transmettre la liste de leurs membres désignés pour entérinement. La DO affirme n’avoir jamais délégué M. Ditu Monizi. Pour André Mbata, la Cour constitutionnelle avait tranché cette question : « Le mandat impératif est nul ». Le député n’a donc pas besoin d’être en phase avec sa composante.
Au sein de la majorité, deux questions ont continué à faire débat. D’abord le poste de vice-président sur lequel les discussions se sont poursuivies après dépôt du rapport de la commission paritaire, selon trois sources au Parlement. Selon plusieurs sources, aussi bien au sein de la commission paritaire qu’au sein de la conférence des présidents, lors du dépôt du rapport de la commission paritaire, le 13 octobre 2021, Fabien Boko, député Palu, figurait comme vice-président proposé de la Ceni. Boko, aussi cité par Mbata comme membre de la commission, sera par la suite contesté par les députés USN soutenu par Jean-Marc Kabund. La plénière prévue sera reportée officiellement pour « des raisons techniques ». Au bout des discussions, Boko sera remplacé par Ilunga Lembow, député PPRD. Cependant, une question subsiste : la commission a-t-elle pu statuer sur le nom de Ilunga ?
Ensuite, les regroupements MS-G7 et AR, qui se réclament être la deuxième force parlementaire de l’USN, revendiquaient le poste de vice-président ou, au minimum, celui de rapporteur de la Ceni. Leur leader, Moïse Katumbi, quant à lui, martelait que la désignation de Denis Kadima sans consensus était une « ligne rouge » à ne pas franchir. Moïse Katumbi n’aura finalement aucun poste : Paul Vahumanwa, député AR, a été désigné rapporteur adjoint du bureau de la Ceni. Ni son parti d’origine, le RCD-KML, ni sa composante politique n’ont été associés à sa désignation.
Au delà des individus : une loi déséquilibrée pour une Ceni déséquilibrée
La controverse autour de la Ceni ne commence pas avec la désignation de ses animateurs. Après les élections de décembre 2018, des appels pressants de la société civile, de l’opposition et d’une partie de la majorité (Cach) exigeait des « réformes électorales » avant la mise en place de la Ceni. Cependant, les objectifs de ces réformes étaient loin de faire l’unanimité. Dans sa proposition initiale, Christophe Lutundula, alors député de l’opposition, suggérait une Ceni composée de manière paritaire entre la majorité, l’opposition et la société civile. Martin Fayulu, ainsi qu’une partie de la société civile, pour leur part, poussaient pour la « dépolitisation » de la Ceni.
La loi votée au Parlement est loin de satisfaire les deux positions. Elle consacre la mainmise des politiques sur la Ceni en général et, surtout, la mainmise de la majorité au pouvoir sur le bureau du bureau de la Ceni. Ainsi, 80 % des délégués de la majorité à la Ceni sont membres du bureau. Avec quatre des sept postes du bureau, la majorité détient 57 % des membres du bureau. Pour les autres composantes, deux des quatre membres de l’opposition et seul un membre sur six de la société civile siègent au bureau de la Ceni.
Au-delà de ce déséquilibre numérique, les fonctions occupées par les membres de la majorité au bureau de la Ceni sont tout aussi problématiques. Alors que la présidence de la Ceni revient à l’unique membre de la société civile délégué au bureau, les autres postes critiques au processus électoral reviennent principalement à la majorité : le premier vice-président (chargé du déroulement du scrutin), le rapporteur (chargé du fichier électoral) et le questeur (chargé du budget et des finances). Le questeur est par ailleurs la seule fonction qui, dans sa description dans la loi, est « sous la supervision du président de la Ceni ». Le poste de deuxième vice-président, réservé à l’opposition, ne se charge, quant à lui, que « de l’éducation civique et électorale ».
Par ailleurs, la loi prévoit la plénière comme organe de décision et de contrôle de la Ceni. La loi sur la Ceni prévoit aussi que la plénière peut se réunir à la majorité de ses membres, ou en « séance subséquente » en cas de manque de quorum. En théorie, le bureau pourrait donc se réunir à la fois comme bureau et comme plénière. Le bureau, transformé en plénière, pourrait aussi agir à la fois comme organe de gestion et organe de contrôle. En outre, avec six des 15 membres de la plénière, la majorité n’aurait besoin que de deux voix supplémentaires pour avoir une majorité simple, nécessaire pour décider. Pour André Mbata, le problème créé par ce déséquilibre sera réglé dans le règlement intérieur de la Ceni. Serait-ce suffisant pour garantir le contrôle de la Ceni ?
Enfin, la loi sur la Ceni stipule que les membres de la Ceni sont désignés parmi « les personnalités indépendantes ». Elle est cependant restée muette sur ce qu’elle entend par « personnalité indépendante ». Lors de l’examen de la loi organique, les députés Ndjoli et Lutundula, tous des professeurs de droit, avaient suggéré d’introduire « une définition objective » de ce concept. Ainsi, la proposition initiale de Lutundula précisait que « nul ne [pourra plus] être désigné membre de la Ceni s’il a appartenu à une organisation politique au cours des cinq dernières années précédant sa désignation ». Cette suggestion a été rejetée. Ainsi, Roger Bimwala, deuxième délégué des confessions religieuses au sein de la Ceni, est aussi député provincial de Kinshasa, et Adine Omokoko, déléguée de la société civile, provient du Cadre permanent de concertation de la femme congolaise (Cafco), organisation dont Rose Mutombo, l’actuelle ministre de la Justice, est présidente.
L’observation électorale internationale : une panacée
Le processus de désignation des membres de la Ceni a réduit le peu de confiance qui restait entre les partis politiques entre eux, mais aussi entre les confessions religieuses. Dans une déclaration rendue publique le 27 octobre, l’Église du Christ au Congo a décidé ainsi de « la rupture avec les six confessions religieuses ».
Les partis politiques de l’opposition, quant à eux, continuent à exiger un large consensus et craignent de nouvelles réformes pouvant de nouveau restreindre la compétition électorale. Dans un communiqué conjoint, le FCC, l’Ecidé, et les organisations laïques protestantes et catholiques ont appelé à des manifestations le samedi 6 novembre à travers le pays. Le même jour, Ngoyi Kasanji, membre de l’USN, prévoit une « marche de soutien aux institutions ». Pour éviter la confrontation, les laïcs protestants et catholiques ont finalement reporté leur marche au 13 novembre 2021. Selon des sources proches de l’Église catholique, l’ambition est d’organiser des manifestations dans plusieurs villes du pays.
Dans cet élan de crise, Tshisekedi a reçu, le 23 octobre, des diplomates européens et américains pour parler du processus électoral. D’après des interlocuteurs du chef de l’État, le président de la République aurait réitéré son appel à un accompagnement international à travers « les missions d’observation ».