Qui se cache derrière les enlèvements au Bas-Uélé ?
Dans le Bas-Uélé, des incursions récurrentes de rebelles suscitent de nombreuses interrogations à la fois sur l’identité et les motivations de ces assaillants. Le dernier événement en date remonte à la nuit du 4 au 5 mars 2023 : sept personnes ont été enlevées à Banda dans le territoire d’Ango parmi lesquelles six enfants (cinq garçons et une fille, tous âgés de moins de 18 ans) et une personne adulte.
Cet incident survient après celui de la nuit du 27 au 28 février pendant lequel 31 personnes avaient été enlevées dans trois villages (Nambagu, Zamoi et Banda) du même territoire. Parmi ces otages, 25 étaient des enfants dont l’âge varierait de 10 à 18 ans, ainsi que 6 adultes (ces derniers ont été relâchés le même jour).
La société civile locale fait état de 38 personnes enlevées entre février et mars 2023 (40 selon les services de sécurité du Bas-Uélé).
Parmi les enfants enlevés, l’un a été libéré autour du 6 mars et a pu regagner son village, Zamoi, le 8 mars et un autre s’est enfui autour du 9 mars. Assisté par des éleveurs nomades Mbororo, le second ex-otage a regagné Banda dans la nuit du 10 au 11 mars 2023.
Ce regain d’enlèvements remet en cause une accalmie précaire observée dans le Bas-Uélé qui n’avait plus enregistré d’incidents similaires depuis l’enlèvement de 55 personnes dans le territoire de Bondo en mai 2020. À Ango, le dernier enlèvement massif est survenu en 2019 : après une incursion ayant coûté la vie à deux policiers, 26 personnes avaient été enlevées à Banda dont 13 adultes tous relâchés et 13 enfants conduits en République centrafricaine (RCA) selon la société civile locale.
D’autres cas isolés ont été rapportés par la société civile de Banda. Le 16 février 2023, cette dernière a alerté sur la prise en otage de trois motards et d’une femme avec ses trois enfants dans un village appelé Nagugu. Les preneurs d’otages, selon la même source, étaient identifiés comme des ex-rebelles Séléka dont trois auraient été capturés par la population locale avec deux fusils d’assaut AK47. L’un d’entre eux se serait échappé et les deux autres auraient été remis aux services de sécurité.
Début novembre 2022, un éleveur nomade Mbororo transportant une grande quantité de marchandises, avait été interpellé dans une localité appelée Angar (territoire de Poko, Bas-Uélé) par les militaires des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Cette marchandise, composée essentiellement de denrées alimentaires constituait, selon lui, une rançon exigée par des rebelles pour obtenir la libération de sa famille.
Ceci tendait à confirmer des informations de responsables des territoires de Bondo et d’Ango, selon lesquelles des rebelles kidnappaient parfois des membres de la communauté Mbororo pour réclamer des rançons. Ces responsables s’inquiétaient par ailleurs du fait que les membres de cette communauté préféraient l’arrangement à l’amiable avec les rebelles plutôt que de les dénoncer auprès d’eux.
L’hypothèse Palanga Akumba
Plusieurs pistes peuvent être exploitées pour tenter d’expliquer cette série d’exactions. Une source sécuritaire dans le Bas-Uélé qui s’est fondée sur les témoignages de hardos (chefs) des Mbororo pointe un groupe armé sud-soudanais recrutant majoritairement dans la communauté Azandé qui, serait venu de Tumbura (parfois orthographié Tambura) dans la province d’Équatoria Occidental. Ce mouvement aurait fait une série d’incursions en février à Bambouti, près d’Obo (RCA) avant de prendre la route de la RDC où il aurait installé sa base à Pasi, une vaste région couverte de forêts et de savane située près de la frontière. Ce mouvement s’appellerait Palanga Akumba (qui veut dire jeunes garçons) selon Antoine Gambolipay, porte-parole de l’assemblée provinciale du Bas-Uélé.
Selon les ex-otages cités plus haut, les ravisseurs portaient une tenue aux couleurs de la casquette militaire ci-après retrouvée suite à l’incursion des rebelles dans un village appelé Zambasende, selon le directeur de la Commission paroissiale Justice et Paix d’Ango.
Bien qu’il existe encore peu de détail sur l’existence d’une milice majoritairement composée d’Azande en RDC, la présence d’un tel groupe armé est confirmée dans la préfecture frontalière centrafricaine du Haut-Mbomou où elle a pris la dénomination d’Azande Ani Kpi Gbe (AAKG) signifiant Beaucoup d’Azande sont morts. Cette milice aurait pris la dénomination de Palanga Aboro (pour signifier jeunes gens dans la langue Azande) au Soudan du Sud à la frontière avec le territoire congolais de Dungu (Haut-Uélé) où elle effectue régulièrement des incursions.
Le cerveau-moteur d’AAKG serait Emmanuel Korobongo, un ancien combattant de la SPLA/IO, mouvement rebelle sud-soudanais de Ryek Machar, mais dont l’identité n’a pas été confirmée à Duruma (Dungu) où il serait localisé.
Les soutiens d’AAKG viendraient des militaires sud-soudanais membres de la communauté Azandé. Cette milice revendique une mission de protection de la communauté Azande face aux exactions des groupes armés locaux, attestant de violents affrontements qui l’ont opposée du 7 au 9 mai à une autre milice formée par des Peuls, l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC) à près de 10 km de l’est de Mboki ( préfecture du Haut-Mbomu).
En plus, AAKG réclame, dans une note adressée le 3 mars, la démission du préfet de Haut-Mbomou qu’elle accuse d’être de mèche avec l’UPC.
Les affrontements entre ces deux groupes armés ont entraîné des déplacements de populations non seulement en RCA, mais aussi en RDC. Le préfet du Haut-Mbomou, Jude Ngayako a affirmé n’avoir pas en possession un bilan précis, tandis que la société civile d’Ango a signalé, le 23 mai, l’entrée de 67 réfugiés établis à Bokoyo.
Cette dynamique fait redouter des violences communautaires, notamment en RDC où la cohabitation est déjà difficile entre les pasteurs nomades peuls, Mbororo et la communauté Azande.
Un retour de la LRA ?
Une autre explication serait la résurgence de la LRA. Cette thèse s’appuie sur plusieurs éléments d’information. D’abord, le modus operandi. La LRA a procédé par le passé à des enlèvements de masse au cours desquels les adultes étaient parfois libérés ou exécutés, et les enfants forcés de devenir des combattants. Dominic Ongwen, ancien lieutenant de Joseph Kony a indiqué devant la Cour pénale internationale (CPI) où il a comparu à partir de 2016 pour crime de guerre et crime contre l’humanité, qu’il fut enlevé au nord de l’Ouganda quand il avait entre 9 et 14 ans avant d’être enrôlé au sein de cette rébellion. Ce dernier a expliqué que les enfants étaient plus faciles à instrumentaliser que les adultes.
Ensuite la saisonnalité des attaques. Les attaques de la LRA sont intervenues vers la fin de l’étiage, période où la LRA a souvent cherché à renforcer sa provision avant le retour de la pluie.
Enfin, la langue parlée par les assaillants. Selon un ex-otage de la LRA libéré le 6 mars, les ravisseurs parlaient le Pazande (langue du peuple Azande), un Lingala approximatif et l’Acholi, une langue parlée par une population du même nom originaire du district de Gulu au nord de l’Ouganda et dont Joseph Kony est membre. Les onze ravisseurs, équipés d’AK47, d’un GPS et d’un appareil de communication, ont établi leur bastion dans la zone comprise entre Dakwa, Ango, Banda et Digba. Leur opérateur passerait deux communications téléphoniques par jour, respectivement à 8h et à 17h.
Ce témoin fut déjà enlevé, selon la société civile de Banda, entre 2012 et 2013 par la LRA. Le temps passé en captivité lui aurait permis de reconnaître la langue Acholi dont la majorité des combattants de la LRA de l’époque étaient des locuteurs.
Selon les sources de la société civile de Banda, la LRA serait éclatée en deux groupes établis dans la préfecture du Haut-Mbomou (RCA) : le premier basé à Zemio, dirigé par Aka Achaye doctor, alias Ali comprendrait 250 personnes environ dont des femmes et des enfants de différentes nationalités: centrafricaine, congolaise, sud-soudanaise et ougandaise. Le second groupe basé à Mboki serait dirigé par un certain Owila, alias Oloo, comprenant de centaines de combattants.
Ces principaux groupes pratiqueraient des activités agricoles. Leurs combattants auraient profité de l’accord de paix de 2019 (signé par l’UPC et le gouvernement de Bangui) prévoyant le désarmement, pour s’engager dans le même processus qui n’a pas été mis en œuvre.
Pour mémoire, le premier enlèvement de masse ayant touché le Bas-Uélé remonte, à mars 2009 à Banda (Ango) : selon la société civile locale une cinquantaine de personnes fut enlevée par la LRA, parmi lesquelles trois femmes expatriées travaillant pour MSF-Suisse.
Dès lors, des attaques s’étaient multipliées au point que les FARDC et la Monusco avaient dû lancer une opération conjointe pour traquer la LRA. Certains combattants de ce mouvement furent tués et d’autres, y compris Joseph Kony, leur cerveau-moteur, avaient pris fuite vers la RCA où ils ont établi leur base arrière d’où ils ont continué d’attaquer dans les Bas-Uélé et le Haut-Uélé.
Il n’est pas exclu que les combattants de la LRA aient appris le Pazanda et recruté des locuteurs de cette langue durant le temps qu’ils ont passé dans la région.
Une coalition hétéroclite ?
D’autres groupes armés restent actifs dans la zone contiguë aux trois pays (RCA, RDC et Soudan du Sud) faiblement contrôlée par les services de sécurité, rendant assez complexe leur identification en cas d’incidents sécuritaires dans la région. La LRA, le plus ancien groupe armé actif dans cette région opérerait parfois en coalition avec l’UPC qui est devenue son partenaire dans une économie de criminalité.
Selon des sources sécuritaires proches du secteur opérationnel de l’Uélé, trois personnes ont été appréhendées en train de recruter des combattants dans le territoire de Dungu, voisin à celui d’Ango. Son principal auteur identifié comme un Centrafricain aurait réussi à s’enfuir, mais ses deux lieutenants Congolais seraient aux arrêts avec deux armes AK47. Ces informations suggèrent qu’il existe des mouvements qui recrutent actuellement entre la RDC, la RCA et le Soudan du Sud pour se réorganiser.
Les vulnérabilités du territoire d’Ango
Cette recrudescence d’enlèvement intervient sur un territoire particulièrement vulnérable : celui d’Ango. Avec ses 300 km de frontière avec la RCA, il ne comprend qu’un « bataillon-moins » selon un officier des FARDC. Son état-major ne comprendrait que 20 militaires environ avec seulement une dizaine de militaires commis à la sécurité de Zapayi et Bokoyo, les deux principaux postes douaniers avec la RCA.
Cette porosité frontalière laisse libre cours aux mouvements de groupes armés provenant de la RCA et du Soudan du Sud.
Outre le déficit d’effectifs, la question de mobilité des FARDC et de leur logistique se pose. Ces militaires ne bénéficieraient d’aucune ration et sont faiblement équipés. Une source locale ayant requis l’anonymat a affirmé que c’est la population locale qui est tenue de se mobiliser pour apporter la ration alimentaire aux militaires engagés dans des opérations contre les groupes armés.
Compte-tenu de l’infériorité numérique, les militaires congolais ne sont pas en mesure d’assurer la couverture sécuritaire sur l’ensemble du territoire d’Ango, et parfois incapables de faire face aux rebelles.
À cela s’ajoute l’enclavement du territoire d’Ango, dépourvu d’infrastructures routières. Les seuls moyens de déplacement sont la moto ou le vélo. Ceci entrave toute réaction aux urgences sécuritaires.
Par ailleurs, les mauvaises relations civilo-militaires constituent une des causes de l’insécurité. Depuis plusieurs mois, la société civile et certains éleveurs nomades Mbororo ont alerté maintes reprises sur la présence rebelles à Ango, sans être entendus.
À Dungu, les FARDC en collaboration avec la Police nationale congolaise (PNC) disposent d’un numéro vert permettant à la population d’alerter sur des mouvements suspects, ce qui n’est pas le cas à Ango. Ce mécanisme d’alerte précoce pourrait permettre à l’armée de réagir plus rapidement et d’être plus dissuasive en cas de menace sécuritaire.
Pour mettre un terme à l’activisme rebelle à Ango, le renforcement des services de sécurité en hommes et en logistique paraît crucial. Une prise en charge efficace de ces militaires et policiers doit être assurée pour éviter qu’ils deviennent une source d’insécurité ou qu’ils abandonnent leur mission principale pour se livrer à d’autres activités.
De plus, face à l’activisme des mouvements ayant des ramifications extérieures, un mécanisme de coordination des opérations militaires à l’échelle régionale serait utile, de même que de désenclaver cette région pour relancer les activités économiques afin d’améliorer les conditions de vie d’une population appauvrie par plusieurs années de violences.