RDC : la justice guérira-t-elle de sa « maladie » ?
Le 6 novembre, le président Félix Tshisekedi a lancé, à Kinshasa, les états généraux de la justice, avec plus de 3 500 acteurs venus de divers horizons à travers le pays. Sous le thème : « Pourquoi la justice congolaise est-elle qualifiée de malade ? Quelle thérapie face à cette maladie ? », ces assises ont pour objectif, selon les organisateurs, de proposer des solutions susceptibles de redresser le secteur de la justice en RDC. Peut-on s’attendre à une thérapie de choc qui guérira la justice congolaise de sa maladie ?
Bonjour,
Je suis Bénédicte Kayembe, fellow à Ebuteli. Vous écoutez le 45e épisode de la saison 4 de Po Na Biso, capsule audio d’Ebuteli et du Groupe d’étude sur le Congo (GEC). Chaque semaine, ce podcast vous offre notre point de vue sur une question d’actualité en RDC. Nous sommes le vendredi 15 novembre 2024.
Les états généraux de la justice interviennent neuf ans après ceux organisés en 2015, par Alexis Thambwe Mwamba, alors ministre de la Justice et des Droits humains, sous la présidence de Joseph Kabila. Les résolutions de ces assises avaient été coulées dans la Politique nationale de réforme de la Justice (PNRJ) 2016-2027.
Cependant, les résolutions issues des états généraux de la justice de 2015 n’ont pas été suivies en grande partie. Selon les syndicats des magistrats, ces résolutions n’ont été exécutées qu'à seulement 0,8 %. Ce faible taux expliquerait essentiellement les maux dont souffre la justice congolaise, qualifiée de « malade » par le président Félix Tshisekedi lui-même. En effet, la justice congolaise est caractérisée par le manque d’effectifs, les détentions préventives prolongées provoquant la surpopulation carcérale, la lenteur des procédures judiciaires et leur monnayage, les décisions rendues en violation des lois, des décisions non exécutées, etc. Les ambitions de la PNRJ 2017-2026, comme la réhabilitation des infrastructures judiciaires, la création des tribunaux pour enfants ou l’instauration d’un Fonds national d’aide judiciaire, n’ont jamais été concrétisées. Ce qui renforce la perception d’une justice congolaise incapable de guérir.
Pour l’ODEP, la maladie dont souffre la justice découle aussi de son « instrumentalisation par les acteurs politiques », citant plusieurs affaires de lutte contre la corruption dans lesquelles la justice n’a pas eu les mains libres pour agir à la suite des interférences du président de la République lors des sorties médiatiques tentant à disculper les personnes poursuivies. Cette instrumentalisation de la justice représente le principal obstacle à toute réforme en profondeur du système judiciaire.
Les états généraux de la justice de 2024 se tiennent dans un contexte de vives tensions entre les magistrats et Constant Mutamba, ministre de la Justice. Celui-ci a tenu à préciser qu’ « il ne s’agit pas d’un affrontement entre lui et les magistrats, ni d’un conflit entre le peuple et les magistrats, mais plutôt d’un processus de réflexion visant à redresser le secteur de la justice ». Cependant, le format et la méthodologie du déroulement de ces états généraux ont suscité des controverses au sein des acteurs du secteur de la justice, au point d'être qualifiés, le 11 novembre, de « théâtre » par quatre syndicats des magistrats. Ces critiques portent notamment sur l’organisation dominée par le pouvoir exécutif, reléguant les acteurs du pouvoir judiciaire au rôle d’invités ou participants. Cette ingérence du pouvoir exécutif fragilise l'équilibre des pouvoirs. C’est un autre symptôme des problèmes structurels de la justice congolaise.
Bien que la justice soit une question transversale qui devrait impliquer tous les acteurs, le débat actuel paraît dominé par le ministre de la Justice. Les syndicats des magistrats ont dénoncé une sélection partisane des participants et intervenants dans différents panels, une composition et un fonctionnement opaques du secrétariat technique. Ils ont également pointé le déséquilibre entre les exposés magistraux et le temps consacré aux travaux en commission. En réponse à cette dernière critique, le ministre de la Justice a prolongé de 72 heures ces assises, initialement prévues pour se clôturer le 13 novembre.
Lors de différentes interventions, l’accent semble avoir été mis sur la nécessité de réformer le Conseil supérieur de la magistrature, notamment en y intégrant la société civile, le président de la République et le ministre de la Justice. Cette proposition, cependant, est loin de faire l’unanimité par les magistrats et implique une révision de la Constitution. Un sujet clivant dans l’opinion publique congolaise depuis 2016 et dont le débat a récemment été relancé par le président de la République.
De ce fait, les états généraux de la justice représentent une opportunité décisive pour réfléchir sur des réformes profondes et structurelles de notre système judiciaire. Mais, cet élan risque d’être compromis si les résolutions adoptées restent sous l’influence politique ou ne s’accompagnent pas des mécanismes concrets pour leur mise en œuvre.
Plus que de nouveaux diagnostics, il est important que ces états généraux soient accompagnés d’ une volonté politique forte et d’un engagement clair, nécessaires pour garantir une justice véritablement indépendante et efficace en RDC.
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