Négociations manquées à Luanda, rencontre surprise à Doha : quel avenir pour le conflit dans l’est de la RDC ?
Cette semaine devait être celle de négociations historiques : pour la première fois depuis 2022, le gouvernement congolais devait s’asseoir avec les rebelles à Luanda pour négocier. Finalement, les négociations ont eu lieu mardi, mais pas avec le Mouvement du 23 mars (M23) et pas à Luanda. Dans la soirée, des photos ont commencé à circuler montrant les présidents congolais Félix Tshisekedi et rwandais Paul Kagame face à face, avec l'émir du Qatar, assis et souriant entre eux. Qu’est-ce qui a conduit à cette série d’événements et que signifient-ils pour le conflit ?
C'est le sujet de cet onzième épisode de la saison 5 de Po Na Biso, la capsule audio d'Ebuteli, un institut de recherche congolais sur la politique, la gouvernance et la violence, et du Groupe d’étude sur le Congo (GEC) qui analyse, chaque semaine, un sujet de l'actualité congolaise. Je m'appelle Jason Stearns et je suis le fondateur du GEC. Nous sommes le vendredi 21 mars 2025.
La raison officielle de l'annulation des négociations de Luanda était que l'Union européenne venait d'imposer des sanctions contre le M23 et des responsables rwandais. Ces sanctions ont été plus dures que beaucoup d’analystes pensaient, car elles visaient la seule raffinerie d'or du pays, l'ancien chef des forces spéciales de l'armée et le directeur de l'Office rwandais des mines, du pétrole et du gaz (RMB).
Ce ne sont pas les seules raisons de l’échec de Luanda : il y a apparemment eu des problèmes logistiques pour faire venir la délégation du M23 d’Ouganda en Angola. Aussi, et c’est peut-être le plus important, le gouvernement rwandais était depuis longtemps mécontent de la direction angolaise des négociations, qu’il percevait comme trop proche de Kinshasa.
Voici la raison de l’entrée du Qatar dans le jeu. Le pays du Golfe s'est forgé une réputation de médiateur dans de nombreuses crises à travers le monde, notamment celles impliquant des mouvements islamistes. Il a joué un rôle clé dans l’organisation des négociations entre les États-Unis et le Taliban, qui ont abouti à un accord qui a conduit au retrait des forces américaines d’Afghanistan en 2021. Il a également servi de médiateur entre Israël et le Hamas pendant la guerre à Gaza, ainsi qu’au Tchad en 2022.
Son implication dans la crise congolaise remonte à plusieurs années : l’émir du Qatar entretient depuis longtemps une relation proche avec Paul Kagame. Qatar Airways détient une participation de 60 % dans un aéroport que le Rwanda construit à Bugesera, évalué à environ 1,3 milliard de dollars américains, et cherche à prendre une participation de 49 % dans Rwandair. Mais le nouvel aéroport, qui est en cours de développement avec des installations de fret modernes et une zone économique spéciale, bénéficierait de la stabilité de la RDC, qui est l'une des principales sources du commerce du Rwanda.
C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles le Qatar a tenté à plusieurs reprises de jouer un rôle de médiateur entre la RDC et le Rwanda. Les efforts du Qatar pour organiser la réunion ont commencé pendant la Coupe du monde de football, qu'il a accueillie en 2022. Une réunion de haut niveau entre des responsables de la RD Congo et du Rwanda aurait eu lieu pendant le tournoi. L'émir est ensuite resté en contact avec les deux parties tout au long du conflit et ses efforts auraient reçu le soutien des gouvernements français et américain. Le Qatar pourrait également chercher à concurrencer d’autres pays du Golfe, notamment les Émirats arabes unis, avec lesquels il est en rivalité depuis quelques années, pour gagner en influence.
Finalement, les pourparlers surpris ont abouti à un accord de cessez-le-feu « immédiat et inconditionnel » sur le papier, une demande à répétition faite par le Conseil de sécurité de l’ONU, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA et les chefs d’État de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et de la communauté d’Afrique de l’Est (EAC). Ce n’est pas la première fois que les deux pays signent un accord de cessez-le-feu. Le Kenya en a négocié un en novembre 2022, les États-Unis un autre en novembre 2023 et l’Angola le dernier en août 2024. Ils ont tous fini par échouer, certains en quelques jours. Cette fois encore, le M23 a continué d'avancer vers l'ouest après la déclaration du Qatar, prenant le contrôle de la cité de Walikale-centre, dans le Nord-Kivu, le mercredi de cette semaine.
Le processus de paix est désormais mené par un ensemble confus d’organismes régionaux et de pays. Bien qu'il ait annoncé qu'il prendrait de distance du processus, le président angolais João Lourenço semble encore être impliqué, en tant que médiateur mandaté par l'Union africaine. L’EAC et la SADC ont décidé de fusionner leurs processus, un développement qui a été entériné le 8 février par le Conseil paix et sécurité de l’Union africaine. Les deux organismes ont récemment annoncé la nomination de l'ancien président kényan Uhuru Kenyatta, de l'ancien président nigérian Olusegun Obasanjo et de l'ancien Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn comme facilitateurs du « Processus conjoint Luanda/Nairobi », mais leur nomination n'a pas été confirmée. Toutefois, plusieurs réunions de ce processus ont été annulées ou reportées ces dernières semaines.
Il semble évident que le Rwanda et le M23 tireront profit de la nature alambiquée du processus de paix, car leurs troupes continuent de progresser sur le terrain. Jusqu'à présent, les sanctions des États-Unis et de l'Union européenne, ainsi que la suspension de l'aide de nombreux bailleurs de fonds, n'ont pas été en mesure d'arrêter leur progression. Nous verrons si l'implication du Qatar change quelque chose.
En attendant, restez à l’écoute de notre analyse sur ce défi et d’autres auxquels la RDC est confrontée en recevant Po Na Biso tous les vendredis sur votre téléphone en envoyant « Ebuteli » ou « GEC » via WhatsApp au +243894110542. À bientôt.
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