Tshisekedi, M23 et Kabila : une rumeur, deux camps, plus de nuance ?
Une simple rumeur a suffi. Signalé vendredi 18 avril à Goma, sans prise de parole publique ni même une photo, Joseph Kabila a déclenché, à distance, une tempête politique. En quelques heures : suspension des activités du PPRD, son parti et injonction de poursuites judiciaires. Mais ce qui est en jeu ici dépasse sa personne. C’est l’espace public congolais lui-même qui se rétrécit. Un espace où l’on ne peut plus critiquer sans être soupçonné, ni douter sans être suspecté. Un espace enfermé entre deux camps supposés : pro-régime donc « patriote »… ou pro-M23-Rwanda, donc traître à la nation. Y-a-t-il encore de place à une position nuancée ?
Bonjour,
Je m’appelle Trésor Kibangula. Je coordonne les recherches sur la politique à Ebuteli. Vous écoutez le 16e épisode de la saison 5 de Po Na Biso, capsule audio d’Ebuteli et du Groupe d’étude sur le Congo (GEC). Chaque semaine, ce podcast vous propose notre point de vue sur une question d’actualité en RDC.
Nous sommes le vendredi 25 avril 2025.
« La patrie ou la mort. » Aujourd'hui, cette formule de Thomas Sankara est galvaudée. Certains s’arrogent le monopole de parler — et d’agir — au nom du peuple ; d’autres justifient le recours à la violence armée … pour libérer ce même peuple. Pendant ce temps, le peuple, lui, est sommé de choisir. En famille, entre amis, au bureau, il flotte dans l’air une injonction de se positionner : ou tu es avec le gouvernement, ou tu es avec le M23, considéré par le gouvernement congolais comme un mouvement terroriste. Nuancer, questionner, critiquer, douter ? Ce n’est plus une option.
C’est, à mon sens, ce que révèle aussi la réaction musclée du pouvoir, à travers les ministres de l’Intérieur et de la Justice, contre Joseph Kabila — dont la présence a été rapportée à Goma, ville aujourd’hui sous contrôle du M23 et des troupes rwandaises. Peu importe si cette entrée n’a pas été confirmée par la suite. Peu importe s’il avait, quelques jours plus tôt, annoncé dans un message adressé à Jeune Afrique qu’il comptait retourner au pays « sans délai », depuis « la partie orientale » de la RDC. Peu importe aussi que Kabila reste, jusqu’à présent, très ambigu sur ses intentions. L’idée ici n’est pas non plus de trancher sur la légalité, ni l’intensité, ni la simultanéité des mesures prises par le gouvernement. On y reviendra sûrement dans une note d’analyse ou dans un blog.
Ce que je souhaite interroger, c’est le climat. Le climat démocratique. On l’a vu pendant la campagne électorale de 2023 : il fallait être du « bon côté de l’Histoire », sinon on était accusé de soutenir le « candidat de l’étranger », ou le « candidat étranger ». Cela a crispé. Cela a divisé. Et on ressent encore aujourd’hui l’effet de cette rhétorique.
À Ebuteli, nous sommes aussi régulièrement visés, de part et d’autre. Quand nous avons publié un sondage en décembre 2023 annonçant le président sortant en tête des intentions de vote, nous avons été accusés par une partie de l’opposition d’être « achetés ». Quand nos chiffres ou nos analyses dérangent le pouvoir, nous devenons aussitôt des chercheurs à la solde des opposants, voire des impérialistes.
Une frange de la société civile est indexée, les journalistes ne sont pas non plus épargnés. On leur rappelle, de plus en plus souvent — à voix basse ou publiquement — qu’ils doivent « faire preuve du patriotisme », surtout en cette période de guerre.
Est-ce cela le Congo que nous voulons ? Un pays où les analystes sont disqualifiés et accusés systématiquement de « faire le jeu » de l’un ou de l’autre camp, où les médias sont sommés d’être loyaux, et les opposants assimilés à l’ennemi ou à l’agresseur ? Au même moment, le gouvernement et le M23 négocient. À Doha, les discussions sont complexes, mais le fil n’est pas rompu. D’ailleurs, une première déclaration conjointe a même été présentée, le mercredi 23 avril, comme un « message de paix et d’espoir ».
Alors, question : pourquoi frapper fort à Kinshasa contre un ancien président signalé à Goma, pendant qu’on discute avec les rebelles qui occupent cette même ville ? Le pouvoir semble s’être résolu à la médiation dans l’Est, faute d’un rapport de force militaire favorable. Mais il choisit la confrontation sur la scène politique intérieure, là où il conserve une marge de manœuvre. Tenant cette ligne, il boude même l’initiative de médiation des évêques catholiques et des représentants de l’Église protestante, soupçonnés, eux-aussi, de « faire le jeu » de l’ennemi.
Comme on le voit, le cas Kabila revèle la disparition progressive et inquiétante de la parole critique : aucune posture tierce, aucune voix dissonante n’est plus tolérée. Christian Bosembe, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC), l’a encore martelé le jour de Pâques : « Nous n’avons pas affaire à une guerre d’opinion. Nous faisons face à une agression contre la République. Et dans ce combat, la liberté d’expression ne peut servir de bouclier à la trahison. »
Alors, convoquant ici l’essai politique Le courage de la nuance du journaliste français Jean Birnbaum, il faut prendre le courage de redire — calmement, mais fermement — qu’il doit rester une place pour la nuance. Une place pour ceux qui refusent de choisir entre deux radicalismes. Pour ceux qui veulent questionner sans trahir.
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